Tout à l’heure, il y a presque soixante-dix ans, Hermine Karagheuz vendait ses poèmes aux terrasses des cafés chics à Saint-Germain-des-Prés. Moi je n’étais même pas en préparation pour la terre.

Tout à l’heure, il y a une dizaine d’années, Hermine et moi avons eu le désir d’inventer une sorte de cercle au féminin pour y poser nos vérités. L’une et l’autre, à quelques décennies près, nous étions semblables et comprenions ensemble cet art que nous pratiquions : le théâtre comme un art total. Nous étions dans ce même état de liberté et de passion pour échanger et avancer en double sur des textes personnels et tous les autres tant du passé que de l’actualité. Nous habitions le même quartier parisien et regardions la rue, relevant l’asphyxie du monde et les désordres du temps. Nous voulions réagir.
C’est ainsi, qu’au « salon », un soir, FemmeSavantes, le titre, est monté sur nos lèvres. Une évidence. Nous voulions oser cela. Rire entre nous à partir de Molière et assumer le fait d’être « précieuse » pour y habiter l’échos de ces guillemets.
Ça parlait de ce théâtre qu’est l’homme au sens animal; du goût de la transmission; des leurres de notre société en asphyxie; de ces frontières du réel à exploser pour entendre le poétique et sûrement un peu la vérité. Notre soif d’actrice d’incarner plus loin que ce faible répertoire théâtral qui nous est destiné et dans lequel nous ne nous retrouvions pas. Cette division sensible au sein de notre race humaine était notre étude. Nous nous retrouvions systématiquement comme des aimantes… C’était avant la mode des Hashtag…

Parce que nous étions libres, nous faisions « salon » en riant de ce FemmeSavantes, certaines qu’il nous faudrait un jour nous y mettre.

Plus tard, j’ai quitté Paris pour Bordeaux. Je me suis mise à transmettre comme elle l’avait fait elle aussi, en devenant Professeur de théâtre.
Notre duo, je l’ai mené jusqu’à mes élèves, ayant la nécessité de leur présenter celle qui avait joué « La dispute » mise en scène par Chéreau. L’art vivant si éphémère est cette lumière que l’on se passe de générations en générations malgré toutes les inventions de l’homme. Plus que jamais nous sommes en état d’urgence de recevoir de nos ainés de tout à l’heure, eux qui se souviennent, ces porteurs de lueurs, de leurs propres ainés d’hier…

Dans le même temps, certaines de mes anciennes élèves aux esprits libres ont provoqué la création de FemmeSavantes. Elles ont voulu qu’on travaille ensemble, que cette transmission dépasse les cours et ne cesse pas. C’était le bon moment. Nous étions ces générations croisées « au salon » pour plonger dans le labo de ce théâtre au féminin sans revendication féministe mais tellement en quête du mot « femme ».
Les textes que j’avais écrit tout à l’heure, il y a une dizaine d’années, avaient l’air neufs aujourd’hui et nous nous sommes mises au travail. Tant de sujets à sortir des cartons pour ces nouvelles FemmeSavantes qui faisaient sens pour théâtraliser, échanger, éclairer, jouer et rejouer dans l’intime conviction de déjouer certains pièges d’un monde à toute vitesse… Constater que le temps ne laisse pas toujours la parole à celles qui sont justement des femmes.

S’il est écrit partout qu’Hermine nous a quitté cette année, en 2021, je crois justement qu’elle est tout à fait présente ici et maintenant. Elle est la première du cercle, je me souviens que nous avons trinqué l’autre soir : Aux FemmeSavantes ! Tchin…

Hermine & Bagheera

HERMINE KARAGHEUZ

« L’hermine est connue pour ses jeux effrénés et ce dès le plus jeune âge. Ces initiations juvéniles lui permettront à la fois de chasser ses proies et de se soustraire à ses prédateurs. » (Fiche internet faune et flore)

Jouer ce n’est pas apprendre à mourir, c’est même le contraire. L’acteur se défie de la mort mais ne la défie pas. Il en esquive la réalité et l’imminence en la simulant. Car s’il nous prenait l’idée saugrenue d’attraper la vie par sa fin, l’évidence de notre inextinguible solitude nous condamnerait à vivre sans amour ni partage…

Hermine K est décédée en avril 2021. Elle était comédienne. A ce titre, il y a eu des hommages médiatiques posthumes notamment la lecture – calamiteuse – sur France Q d’un texte qu’elle avait écrit, « dette d’amour », racontant l’agonie dans un hôpital parisien de son compagnon Roger Blin, évocation crue et clinique.  Prémonitoire. Or, derrière l’histoire de cette comédienne, il y en a une autre tout comme il y a derrière le portrait de « la dame à l’hermine » peinte par Vinci, un autre portrait qui fascine encore les historiens de l’art.

Hermine K alias Herminie, c’est cette jeune fille au sourire pâle vendant ses plaquettes de poésie au café du Flore dans le film de 1967 « désordre à 20 ans » signé Baratier – antidote fiable au vomitif « mourir à 30 ans » de Goupil (Tous les Goupil contre un seul Baratier, cinéaste hélas oublié !). Dès lors, comme on se couvre d’un manteau rare, Hermine K endossera celui de muse et de comédienne. Quarante ans durant, elle évoluera avec aisance au sein d’un univers artistique exigeant dont l’arc part du théâtre de la cruauté d’Artaud pour se tendre jusqu’au cinéma d’auteur en passant par l’avant-garde et l’expérimental. Appliquée et impliquée dans ce théâtre/cinéma réflexif, novateur – parfois un tantinet élitiste et autosuffisant – elle le fera sien y nouant d’indéfectibles amitiés. Figure satellite, rarement premier rôle, elle sera pourtant partie prenante d’une flopée d’aventures théâtrales marquantes de la fin du 20eme. On retient des noms jetés à la volée comme autant d’indices sur ses affinités : Rivette, Billetdoux, Chéreau, Marc’O, Kahane, Quehec… Jouer fut son moteur et sa nourriture. A plus de soixante-dix ans, elle lisait encore avec une remarquable intensité des textes de Daumal *

Septuagénaire, sa silhouette d’adolescente étique restait étonnement inchangée quoique fragilisée, comme fissurée. Son visage intriguait : il accusait les marques du temps tout en le remontant dans un mouvement non pas antagoniste mais complémentaire. Un visage mouvant tantôt femme-enfant, tantôt enfant vieilli prématurément, selon les jours, les instants parfois. Prémonitoire…

Vieillir, c’est contempler la débâcle du corps accompagné par celle plus ou moins lente de l’esprit. La désagrégation inéluctable, le grignotement indicible de ce qui nous fonde, de ce que l’on a cultivé et entretenu, enseigne à la dure à ceux qui l’auraient négligée la nécessaire humilité. Refusant que celle-ci ne se convertisse en humiliation, et au prix d’incommensurables douleurs, certains êtres creusent à l’intérieur d’eux-mêmes comme on creuse une plaie avec un surin, pour atteindre ces profondeurs entraperçues enfin accessibles (la kabbale ne se lisait autrefois que passé la quarantaine). D’autres s’engagent dans un processus de retour à soi, retour à tout, plus mystérique, incommunicable du moins par les mots. C’est cette restauration qu’a accompli Hermine. Car sa réelle singularité finalement c’est dans cette surprenante apocatastase qu’elle se niche.

Soucieuse de ne pas déroger, elle aura joué le jeu, tenu son rôle – en vraie comédienne ! – près de 50 ans jusqu’aux limites de ses forces. S’est-elle épuisée à donner le change ? Une brèche s’est-elle ouverte en elle ?… Possible. Hermine semblât dès lors doucement lâcher prise affichant un souverain détachement pour tout ce qui l’avait animé et défini jusque-là. D’abord indicible, la fêlure se transformant en lézarde finit par inquiéter son entourage, déjà déconcerté par ses absences, errances, et autres désordres. S’il est séduisant à 20 ans, à 80, le désordre alarme ! En particulier lorsqu’il prend des allures de chaos domestique et intime quand bien même ce désordre ne serait « qu’un désir d’ordre et de perfection contrarié » (Dostoievski).

Engouffrée dans la lézarde, la femme-enfant retrouvait ses racines arméniennes, première étape d’un voyage immobile à rebours. L’Arménie d’Herminie – l’allitération suffit. Elle en connaissait la géographie, l’histoire, ancienne et récente, le peuple et la langue. Intarissable sur le sujet, elle plongea encore plus loin dans son passé et se souvint de son enfance au sein de la diaspora établie à Issy, se rappelant ses jeux de gosses dans la rue, l’Occupation, ses escapades à Paris. Elle évoquait avec une admiration touchante son père, musicien fantasque, volage et absent, un père intermittent du spectacle avant l’heure.

Finalement, il y a deux ans, avec son consentement – c’est essentiel -, ses proches l’ont installée dans l’un de ces hospices modernes qu’on nomme ephad comme on dit senior plutôt que vieillard. C’est ici qu’elle avait choisi d’achever son voyage qu’elle savait sans retour. Et c’est ici aussi, aux portes de l’établissement parisien, qu’elle a consenti à se délester de tout excédent, abandonnant définitivement son bagage devenu bien trop encombrant, trop lourd pour elle. Quant à son « manteau d’Hermine », armure désormais superflue, elle l’a jeté dans la première poubelle venue. Un adieu clin deuil à Beckett. Fin de partie. Game over ! Dépouillée de tout mais riche d’elle-même, elle a franchi le seuil de cette antichambre de la mort dont elle allait abolir la désespérance ordinaire en transformant sa propre chambre en une chambre intérieure à la porte de laquelle butaient les incrédules et les médecins. De l’extérieur, pourtant, les nouvelles n’étaient pas bonnes. Le confinement n’arrangeant rien, ses proches craignaient qu’elle ne se soit enfoncée dans une nuit totale. Mais il n’y a de nuit noire ou érubescente que pour les damnés. Hermétique à ce qu’elle ne peut saisir – mais pressée de nommer pour ne jamais sembler dépassée – la médecine préfèrera parler de « régression », de « sénilité ». Mais la science n’admet jamais, ni ne cautionne rien au-delà de ce qu’elle circonscrit elle-même au champ expérimental ; elle s’en tient au phénoménal. En réalité ayant traversé le miroir/mouroir, Hermine, s’était évadée depuis belle lurette. Roulant le ciel comme on roule un tapis perse, elle a soufflé sur le vent, poussé les nuages, dégagé l’horizon pour ouvrir les cieux et aspirer l’au-delà. Son état d’innocence retrouvé, elle aura accompli sa propre apocatastase raccordant son âme à sa parcelle d’éternité. Une innocence contagieuse qui ravira et ravivera l’ensemble des pensionnaires solidaires portés et emportés par son élan. Out of this world. A leur tour…

« Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu. Heureux les simples d’esprit le royaume des cieux leur appartient. »

*Daumal qu’on semble enfin découvrir au grand dam d’un cercle d’initiés désespérés de cette révélation ; don’t mind ! Pour les plus élitistes, il reste RG Lecomte !)

Marc Dufaud

BAGHEERA POULIN

Bagheera Poulin performe tout ce qu’elle fait : elle est toujours au présent.

Comédienne, elle joue au théâtre les textes des autres : Roger Vaillant sous la direction de Catherine Gandois, Matéi Visniec, Alain Didier-Weil (Vienne 1913, mise en scène de Jean-Luc Paliès), Christian Rullier (Femmes.3, avec son complice de toujours Jacques Perdiguès), ou encore David Lescot (Les Jeunes, dans une mise e scène de l’auteur, où déjà elle chante, joue et déménage pas mal). Mais elle est aussi autrice de ses propres interprétations (MMM,moi Marilyn Monroe, Symphonie des fluides, Cher Hamlet, Pour Homme, Dans tous les Sens, Ceci n’est pas une pipe, Citée d’or, Le crime au fond de nous, Amicalement madeleine). C’est pour développer son work in progress « Ophélie.net » qu’elle a été artiste associée à la Maison des métallos sous la direction de Gérard Paquet où elle performait avec des peintres de street-art, des photographes, des musiciens et vidéastes et la styliste Consuelo Zoelly…

On la voit aussi à l’image, avec Jean-Louis Trintignant ( Intérieur Hôtel de le Happy End de M. Haneke) de A. Vernerey, ou dans « C’est extra », réalisé en 2020 par Katia Medici, Miss-Tic réal. Frédéric de Pontcharra…

Comme on n’est jamais mieux servi que par les autres, si ce n’est par soi-même, elle s’empare à l’occasion de la caméra (En Amazone Court-métrage Avril 2016 Marilyn Duras Prod, Entre les cuisses, Éros cliché Court-métrage Juin 2015, Naitre ou ne pas clip Maman Croft Spot Pub Facom Projet Marilyn ovni filmique réalisé à MC93…)

Sur le terrain de la musique, elle croise le fer avec des improvisateurs de première force, comme Laurent Petitgand, Jac Berrocal ( Aussi sur l’album MDLV), Aldo Romano, Paul Lazar, Steve Argüelles…

Que reste-t-il pour compléter le tableau ? « Écrire » dit-elle, et elle le fait, adaptant Duras, biographiant Marilyn Monroe, composant roman, poésie, impromptus.

Depuis quelques années, elle enseigne le théâtre à Bordeaux pour le Cours Florent, ainsi que la performance si tant est que cela puisse s’enseigner. Mais on peut lui faire confiance : si ça ne s’apprend pas, elle vous montrera comment.

Car si Bagheera Poulin touche tant à tout, c’est qu’elle n’a vraiment peur de rien.

David Lescot

MESSUA WOLFF

Messua est basée à Londres depuis 2011. Ses tableaux évoquent la temporalité et la matérialité. Elle met l’accent sur le processus, en travaillant avec des techniques laborieuses et répétitives en collaboration avec les matériaux. Elle produit de la couleur à partir de plantes, de racines ou de fruits cultivés à la maison, de déchets ou d’ingrédients organiques trouvés. Brut, organique, délicat, brut et intime, le travail fait appel au viscéral plutôt qu’au cérébral.

Diplômée d’un MFA en 2017, elle entreprend actuellement un doctorat dans le domaine de la peinture au Royal College of Art où elle explore la force du temps de la peinture à travers une méthodologie lente, dans le contexte actuel de l’accélération. Récemment, elle a commencé à enseigner dans des universités du Royaume-Uni. Ses œuvres ont été présentées dans des expositions de groupe au Royaume Unis. Son travail a été vu dans des expositions de groupe au Royaume-Uni, comme le Jerwood Drawing Prize et à l’internationale comme en Corée ou au Japon.

« WILD MESSUA»

Le travail de Messua Wolff s’inscrit dans une optique organique. Elle interroge la notion d’altération, la décomposition, et est articulé autour de l’évanescence.

ASHES TO ASHES

Là où les peintres cherchent d’ordinaire à découvrir des procédés chimiques aptes à fixer leur peinture sur la toile afin de la pérenniser non pour l’éternité mais pour plusieurs siècles malgré l’altération du temps, M.W, elle, s’intéresse au processus dégénératif à la fois sur le plan ontologique et comme motif. Sa création ne se limite pas à ce qui est posé sur support : matériau, couleurs, surface et support sont parties intégrantes non de sa technique mais de cette création. A partir de divers « déchets » végétaux, elle compose des œuvres où rien ne se fixent, des motifs qui dégénèrent, se métamorphosent, s’oxydent, prennent de nouvelles couleurs, de nouvelles formes. C’est ce champ-là – et ce qu’il dit du temps, de la vie, de la décrépitude, de la mort – qu’elle explore et expérimente avec une délicatesse qui n’exclut pas une réelle violence sous-jacente. Je vous invite à lire son texte posé en ouverture de son site. Il livre des éléments intéressants autour de sa démarche même s’il n’est pas indispensable de les connaître pour comprendre et sentir son travail. (cf l’installation géante « Babel » avec ces tentures aux motifs N&B récurrents)

D’autre part, son travail articule et prolonge en quelque sorte sa réflexion globale sur l’écologie et les combats militants qu’elle mène dans la rue. Si la connexion est inévitable, Messua a su trouver la distance pour que son travail artistique ne se dilue pas dans cet engagement mais qu’au contraire cet engagement serve et sublime sa création. Pour cela il faut avoir le courage de plonger en soi, de patauger dans ses propres marécages comme un paludier pour en remonter la substance moelle et la convertir. C’est ce qu’a su faire Messua. C’est en cela que son travail se distingue du simple exercice conceptuel un peu vide, un peu vain. Et c’est ce qui fait d’elle une artiste.

Marc Dufaud

JEANNE WINTHERLIG

Jeanne commence à écrire dès son plus jeune âge, dans l’intimité de sa chambre. Son adolescence est bercée par les morceaux pop-countryde Taylor Swift, le pop-rock d’Avril Lavigne, et le folk de James Blunt,Ed Sheeran… qui influencent ses premières compositions.

Viennent ensuite les passages dans des radios et sur des scènes locales. Les auditeurs sont conquis.

Son arrivée à Bordeaux est rythmée par les scènes ouvertes et ses études au Cours Florent. Elle se produit dans les restaurants et les bars de Bordeaux, se fait accompagner de différents musiciens et collabore sur les projets d’autres artistes…

Le premier confinement est l’occasion pour elle d’enregistrer et diffuser quelques unes de ses chansons.
S’en suivent des participations à des émissions radio, télé, web.

Elle se fait remarquer sur la plateforme musicale RIFFX par la société de production Air2D3 basée au Mans, avec qui elle tourne le clip de son morceau « Step One » à Granville, en Normandie.

Elle remporte le Tremplin de la Brasserie Mira à La Teste-de-Buch, et se produit à la Rockschool Barbey à Bordeaux avec ses musiciens.

Aujourd’hui elle sort son premier EP, en solo, « Step One».

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